Rumeur 2 Jeu

Il s’agit d’une réaction de Brandon Sanderson. traduit par le site elbakin.

Introduction

Permettez-moi de me présenter. Mon nom est Brandon Sanderson. J’ai un master en anglais de la Brigham Young University, où j’enseigne à présent l’écriture créative. Je suis un membre pratiquant de l’Eglise des Saints des Derniers Jours et un romancier fantasy à succès.
Il y a environ deux semaines, j’ai reçu un courriel concernant le film la Boussole d’Or, un film qui sort en ce temps de Noël. Le courriel était très critique à l’égard du film et des livres sur lesquels il est fondé, avertissant les gens de NE PAS aller voir ce film ou lire les livres à cause de leur contenu anti-religieux. Ils expliquaient que Philip Pullman, auteur de ces libres, est un athée, et – avec ces bouquins – tente d’amener nos enfants à ne plus adorer Dieu. En même temps, j’ai entendu parler de bibliothèques locales et d’écoles auxquelles on demandait de retirer ces libres de leurs étagères.Quand j’ai reçu ce courriel, cela m’a quelque peu ennuyé, encore qu’au début je n’arrivais pas à savoir pourquoi. J’ai lu les livre de Pullman et en effet, il y a une philosophie exprimée là-dedans qui parle d’athéisme et des dangers du totalitarisme religieux. Les deux derniers vont assez loin pour être dits anti-religieux. Donc, le courriel est correct sur ce point. Je me moque aussi que des parents soient mis en garde par rapport à ce contenu, que cela peut influencer la façon dont ils vont réagit au film ou dont ils répondent aux questions que leurs enfants peuvent avoir. Cela peut même les décider à ne pas laisser leurs enfants voir le film, ce qui est leur droit. Je ne vois aucun problème à ce que le courriel soit envoyé, sur ces points.

Ce qui me tracasse, en fait, c’est le ton de ce courriel. Cela ne paraissait pas informatif, mais contre-informatif. Il n’essayait pas d’expliquer des idées, mais au lieu de cela, tentait d’influencer les gens pour les empêcher d’écouter ces idées. Pour faire court, il ne cherchait pas à promouvoir la compréhension ou l’apprentissage, mais plutôt une forme d’exclusivité et la censure. Il y a une différence entre 1) prendre connaissance et argumenter contre un contenu avec lequel vous pouvez ne pas être d’accord et 2) tenter de supprimer ledit contenu.

Le Pouvoir de la Fiction

En tant qu’auteur, je crois que l’une des plus grandes choses que la fiction peut réaliser est de nous permettre de voir à travers les yeux d’autres personnes. Quand vous lisez un livre – particulièrement un livre de fantasy – il vous permet d’expérimenter des choses que vous ne pourriez jamais connaître autrement. Une partie de cela est la possibilité de voir par les yeux de personnages qui sont radicalement différents de vous. Un des bénéfices de ceci est que, à mon avis, vous devenez plus compréhensifs vis-à-vis des gens autour de vous. Peut-être, pour utiliser un terme chrétien, vous êtes plus charitable envers les autres, puisque vous avez expérimenté la vie à travers le regard d’une grande variété de gens luttant avec une grande variété de problèmes que vous n’avez jamais rencontrés.
J’ai connu cette expérience. Quand, adolescent, j’ai lu Dragonsbane, de Barbary Hambly, j’avais très peu de connaissance du genre fantasy. A cette époque de ma vie, en fait, je n’aimais pas lire. Un sage professeur m’a passé ce livre, et je l’ai lu.Cela m’a rempli d’émerveillement pour le cadre épique et les mondes fantastiques. En même temps, il présentait un personnage principal qui était une femme d’âge moyen. Elle avait choisi de fonder et d’élever une famille au lieu d’étudier ses pouvoirs magiques pour leur donner leur plénitude.Tout au long du livre, elle devait lutter avec cette décision, se sentant coupable d’avoir laissé tomber son potentiel magique, qu’elle n’avait jamais pu totalement mettre en oeuvre puisqu’elle s’était dévouée à ses enfants. Mais, en même temps, elle aimait sa famille et ne regrettait pas le temps qu’elle y avait investi.A cette époque de ma vie, je savais que ma mère avait abandonné une scolarité prometteuse qui l’aurait formée à être expert-comptable. Au lieu de cela, elle avait déménagé avec mon père au Nebraska et avait choisi de me porter et de m’élever, puisque j’étais son premier enfant. Elle travaillait toujours à temps partiel en tant que comptable, mais parlait avec nostalgie des opportunités de carrière qu’elle avait laissées passer.Après avoir lu ce livre, je fus stupéfait de réaliser que je comprenais mieux ma mère. J’avais l’impression que je SAVAIS ce que c’était d’être une femme d’âge moyen tentant d’équilibrer famille et carrière. Et tout cela est arrivé dans le canevas d’une histoire excitante, drôle et pleine d’imagination.

C’est ce que fait la fiction. En quoi était-il meilleur pour moi de lire une histoire à propos de quelqu’un différent de moi ? Ce n’est pas pour minimiser les histoires dépeignant des adolescents comme je l’étais à ce moment, mais je pense que si chaque livre que nous lisons parle de gens exactement comme nous – et qui croient la même chose que nous – alors nous manquons le grand pouvoir d’humanisation de la fiction.

La Boussole d’Or

Et voilà qui m’amène aux oeuvres de Mr. Pullman. Non, je ne partage pas sa philosophie de la vie. Cependant, j’ai lu ces livres et je les ai appréciés, et je pense qu’il est sincère dans ses croyances. Les thèmes religieux constituent seulement une petite partie du premier livre, et dans l’ensemble me paraissaient moins un point que l’on m’enfonçait dans le crâne qu’un aspect alternatif du monde. Le Dieu qu’il essaye de tuer n’est pas, de son propre aveu, le créateur, mais une créature qui représente tout ce qui est mauvais et maléfique dans une religion organisée. (Et j’admets bien vite qu’il y a un tas de choses à dénoncer. Je place ailleurs le blâme pour ces atrocités, mais les problèmes sont bien là.)J’étais intrigué par les idées présentées, pas parce qu’elles me donnaient envie de changer mes propres croyances, mais parce que j’avais l’impression que je parvenais à comprendre ce que c’était d’avancer dans la vie en ayant ces idées à propos de la religion. Les livres sont magnifiquement travaillés et traitent de problèmes réels et importants tels que la tyrannie religieuse et la pensée machiavélique. Ils ne comportent pas de contenu adulte ou toute autre chose dont je voudrais tenir les enfants éloignés.Je crois que la Vérité est éternelle et que des arguments sincères contre cette Vérité de la part de gens bien intentionnés ne sont pas une menace pour nous. Ce serait différent si je voyais une tentative pernicieuse ou dissimulée de répandre des mensonges dans ces livres. Cependant, je vois de la sincérité – mal placée, certes, mais ce n’est pas la question.D’une façon ou d’une autre, je ne crois pas que la bonne réponse à des idées différentes soit de les censurer ou de les boycotter. Cela donne l’impression que les idées sont une menace pour les nôtres. Vos croyances sont-elles si faibles qu’elles ne peuvent pas supporter d’être mises en parallèle avec une opinion différente ? Avez-vous peur que les autres aient raison ? Et si non, pourquoi êtes-vous effrayés, ou mis en rage, par ces livres ?Je trouverais honteux que des gens boycottent et enlèvent mes livres des écoles parce que je parle de mondes où il est sous-entendu qu’il y A une divinité. Mon but serait de laisser mes livres et les siens sur les étagères côte à côte, et permettre aux gens qui les lisent de prendre connaissance des deux opinions et de prendre leurs propres décisions.

Vous pouvez ne pas vouloir que vos enfants lisent les livres. C’est votre droit. (Personnellement, je pense que nos enfants ne sont pas aussi stupides que vous le sous-entendez. Ils ne vont pas devenir athées aussitôt qu’ils auront lu ces bouquins, pas plus qu’ils ne vont lire Harry Potter et devenir des magiciens.)

Si cela vous ennuie qu’ils les lisent, parlez-en avec eux. Et, une fois de plus, si vous voulez interdire à vos enfants de les lire, c’est certainement votre droit en tant que parent. Néanmoins, cela me pose problème que vous tentiez de les faire disparaître des bibliothèques ou des écoles.C’est là que vous tendez vers la censure et le bannissement des idées, que vous les supprimez au lieu d’argumenter contre elles.Je n’essaye pas de dire que vous devriez aller voir ces films ou lire ces livres. Je ne tente même pas de leur faire de la publicité. Je crois juste que les gens devraient se faire leur propre opinion là-dessus, et je respecte votre décision ; et si c’est de ne pas aller voir le film, alors je peux comprendre pourquoi et une partie de moi est d’accord avec votre morale. Mais sous-entendre que les autres ne devraient pas aller voir le film ou lire les livres est, selon moi, une tentative de parrainer l’ignorance.Comme toujours, la meilleure façon de promouvoir vos idées est de les défendre en argumentant d’une manière intelligente et respectueuse, et non pas de piétiner les idées de la personne en face avant que les autres aient pu les entendre.

Sincèrement,
Brandon Sanderson

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