La réussite selon Philip Pullman

      

Parmi les joyaux exposés dans la pièce sacrée des Collections Spéciales de la Brotherton Library, bibliothèque de l’université de Leeds, on trouve des histoires écrites par les Brontë enfants, et des illustrations originales de Arthur Ransome pour son récit d’aventure classique Swallows and Amazons. Il y a aussi une première édition de Paradis Perdu, un livre qui a sans doute influencé Pullman plus que tout autre. L’auteur de 63 ans a été invité à l’université de Leeds pour donner une conférence spéciale devant les étudiants sur l’art de raconter des histoires et l’écriture, un sujet qui le passionne, surtout quand on en vient à parler de littérature pour enfants. « Les grands théoriciens de la littérature utilisent parfois les livres pour enfants pour expliquer ce qu’ils veulent dire » dit-il. « Mais les livres pour enfants sont aussi intéressants en eux-mêmes, ils montrent comment les mots et les images peuvent fonctionner ensemble, parce que la manière dont ils le font est si fascinant et on peut en parler sans fin. » Le premier livre pour enfants de Pullman, « Le Comte Karlstein », a été publié en 1982, et fut suivi de « La Malédiction du Rubis », qui a vu l’introduction de l’aventurière victorienne Sally Lockhart. Mais c’est sa trilogie de fantasy, « À la Croisée des Mondes », qui lui a apporté la notoriété et la fortune. Pour ceux qui ne connaîtraient pas les livres, ils racontent une bataille épique entre le bien et le mal centrée autour de Lyra et Will, qui viennent de mondes alternatifs peuplés d’anges, de fantômes, et d’ours polaires en armure. Sa trilogie a été acclamée pour son intrigue captivante et son paysage sans cesse imaginatif. Elle soulève aussi des questions sur la nature de l’enfer et l’existence de Dieu, ce qui lui a valu des critiques de la part de certains groupes religieux. Mais pour Pullman, il n’y a que l’histoire qui compte. « Quand j’écris, je veux terminer l’histoire que j’ai commencée, je voudrais qu’elle soit lue par un public aussi large que possible, bien sûr, mais je ne veux pas préciser le public, je préfère laisser cela aux éditeurs et aux libraires » dit-il. « Certains auteurs savent précisément de quel genre de personnes se compose leur public, mais je ne pense pas que ce soit mon cas. J’imagine en quelque sorte que dans le public, il y aura des enfants, mais pas uniquement, et j’aime cela. » Il y a ceux qui croient que les livres comme ceux de Pullman risquent d’être noyés par la vague des jeux interactifs, des jeux vidéos et des DVD, qui rivalisent entre eux pour monopoliser l’attention des enfants de nos jours, même s’il ne partage pas ce point de vue. « L’évènement le plus important que j’ai vu en matière de publication a été la sortie du dernier Harry Potter. C’était extraordinaire, ce qui prouve qu’il n’y a rien d’aussi séduisant, d’aussi captivant, ou d’aussi fascinant qu’un livre Ils sont bien plus proches de vos émotions et de votre imagination, et les enfants le savent et y répondent. Si vous regardez le livre préféré d’un enfant qui a la chance qu’on lui lise des histoires, il est abîmé et taché et les pages sont écornées parce qu’il a tellement été aimé et l’enfant l’a absorbé. Je me moque de savoir combien de personnes deviennent des lecteurs électroniques, les livres ne seront jamais remplacés parce qu’ils sont si agréables à prendre en main. »

Il dit qu’il a toujours été un lecteur compulsif, que ce soit de poèmes, de bandes dessinées ou de romans. « C’était indispensable, je racontais toujours des histoires de fantômes à mes amis à l’école. Je lisais quelques chose dans les Pan Book of Horror Storie (un genre de « Chair de Poule » britannique) et je le leur racontais le lendemain. »

C’était l’un des rares moyens qu’il avait d’évacuer son imagination. « Il n’y avait rien qui ressemble à de l’écriture créative dans les écoles, cela n’existait pas, vous faisiez une rédaction et si vous aviez de la chance, le professeur vous autorisait à écrire une histoire et j’adorais faire cela, mais ce n’était pas vu comme quelque chose d’important. » Pullman a grandi en Angleterre, au Zimbabwe et en Australie avant que sa famille ne s’installe dans le nord du Pays de Galles. C’était un enfant intelligent, et il a poursuivi ses études à l’université d’Oxford. « J’ai préparé un diplôme d’anglais, parce que je voulais toujours écrire et je pensais que si je lisais beaucoup de bons livres, j’apprendrais à écrire, mais en fait cela ne m’a rien appris. » Il a passé 12 ans à exercer le métier de professeur, et pendant ce temps il a commencé à écrire ses premiers romans. « Je n’ai pas quitté mon emploi à temps complet avant de gagner suffisamment d’argent pour vivre, de sorte que je n’ai jamais eu à mourir de faim dans une chambre de bonne. » Il parle de l’écriture comme d’un métier plutôt que d’une lutte romancée entre un artiste et sa muse. « Je ne crois pas au syndrome de la page blanche », fut une de ses remarques célèbres. « Les plombiers n’ont pas de syndrome de la fuite ; pourquoi les écrivains devraient être la seule profession à donner un nom particulier au fait d’avoir des difficultés à travailler, et s’attendre à recevoir de la sympathie pour cela ? » Il est tout aussi pragmatique quand on en vient à parler des adaptations cinématographiques de ses œuvres. « C’est une des responsabilités des auteurs de gagner leur vie et de rembourser leurs crédits, et si quelqu’un vous offre de l’argent pour adapter votre livre en film, ce serait une attitude noble au point d’en devenir absurde que de dire « Non, je ne peux pas laisser faire ça ». » Cela explique qu’il ait eu peu de scrupules lorsque les grands pontes d’Hollywood on voulu faire des « Royaumes du Nord », premier roman de sa trilogie fantasy, un blockbuster. Le film qui en a résulté, « La Boussole d’Or », a reçu un Oscar, et s’est vanté d’une distribution de stars, dont Nicole Kidman, Daniel Craig, et Sir Ian McKellen, mais a reçu un accueil mitigé au box-office. « À moins d’être obsessionnel quant à la pureté de votre travail, je n’y vois aucun inconvénient et je pense qu’ils ont fait du bon travail avec « La Boussole d’Or ». », dit-il. Pullman veut aussi dissiper la confusion autour du changement apparent du nom du livre. « Avant d’avoir le moindre titre, je feuilletais « Le Paradis Perdu » à la recherche d’une expression que je pourrais piquer, et dans le livre quatre ou cinq, quand Milton décrit Dieu séparant le monde créé du chaos non-créé dehors, il dit « il prend dans sa main le compas d’or préparé dans l’éternel trésor de Dieu, pour tracer la circonférence de cet univers et de toutes les choses créées. » Et à l’origine, je l’ai intitulé « La Boussole d’Or » (NdT : le titre original était « The Golden Compass », qui est l’expression utilisée par Milton) parce que je trouvais que c’était une expression intéressante. Et c’était le titre du livre lorsque je l’ai envoyé à mon éditeur en Amérique, mais en discutant avec mon éditeur britannique, nous avons décidé qu’il devrait plutôt s’intituler « Northern Light » (rendu en français par « Les Royaumes du Nord ») et c’est devenu la première partie de La Croisée des Mondes, qui vient d’une autre partie du Paradis Perdu. » Mais le temps que le nouveau titre soit fixé, l’éditeur américain avait déjà commencé la promotion du livre sous celui de « La Boussole d’Or ». « Dans la plupart des pays où il a été publié, le livre s’intitule « La Boussole d’Or », donc cela paraissait logique que le film s’intitule comme cela. » En tant qu’auteur célèbre, Pullman reçoit souvent des demandes de conseils de la part d’aspirants écrivains. « Le conseil qu’on donne souvent au gens est d’étudier le marché, je dis de faire exactement le contraire. Le marché dit depuis dix ans « on veut un autre Harry Potter », mais personne ne s’était dit « où est le premier Harry Potter ? ». La seule personne à y avoir pensé est J. K. Rowling. Donc écrivez ce que vous voulez écrire, parce que les gens ne savent pas ce qu’ils veulent lire. C’est comme les politiciens qui demandent à des groupes ciblés ce qu’ils devraient faire. Mais si vous faites de la politique, vous devriez savoir ce que vous voulez faire. »

Son seul véritable conseil est de lire. « Lisez tout ce qui vous tombe sous la main, en fait si vous n’êtes pas un lecteur compulsif, vous ne devriez probablement pas écrire. »

Scroll to Top